Nous poursuivons notre traversée du pays et un bus tout confort nous mène jusqu’à Gölpazarı, petite bourgade de 7 000 habitants à 200 km au sud d’Istanbul où nous rencontrons Selçuk qui nous accueille pendant deux semaines.
Cet homme robuste était banquier, militaire, manager, boucher et stambouliote. Et puis soudain, la crise de la quarantaine le pousse à changer de vie. Il quitte la mégalopole pour reprendre une ferme dans la commune de son enfance et retrouve sa femme et son fils quelques jours par semaine à Istanbul, livrant des paniers de légumes biologiques à ses clients et anciens collègues bureaucrates.
Son projet mêle principes de permaculture et respect des agriculteurs de la région. Dans sa ferme, Selçuk expérimente macérations de plantes, cosmétiques à base d’aromates, savons au café, huile d’olive, vinaigres et légumes fermentés. Simultanément, il soutient les producteurs locaux puisqu’il ne cultive pas les fruits et légumes traditionnels mais se fournit chez ses voisins agriculteurs, leur assurant un revenu chaque semaine. Ainsi, il les encourage à faire pousser les légumes sans produits chimiques, le plus naturellement possible. Plus de 30 producteurs le suivent et pourront bientôt prétendre au label biologique. Belle victoire ici, où les lobbies des produits chimiques y voyaient un nouveau marché à conquérir !
Gölpazari, tu nous as accueillis !
Comme chaque mardi à l’aube, nous prenons place aux côtés de Selçuk dans son vieux combi bleu, musique à bloc, pour rejoindre le marché de Gölpazarı et charger les produits commandés par les clients citadins.
Au lever du soleil, les premiers tracteurs arrivent sur la place pour décharger les caisses de tomates, sacs de poivrons, piments, haricots et melons fraîchement cueillis. Les nappes colorées se déploient, les piles se montent et nous sommes appelés dans tous les coins pour goûter figues, pommes, raisins et pastèques. Tout le monde est curieux de ces deux étrangers accompagnant le fameux Selçuk.
« D’où venez-vous ? » nous demande-t-on, « De France», « Ah quel beau pays ». Et nous voilà avec une glace, une pâtisserie, une lichette de fromage ou un thé entre les mains pour baragouiner quelques mots de turc ou d’allemand.
Une fois les échoppes installées, les hommes se retrouvent dans les cafés, à déguster un thé amer et jouer aux dominos entre deux appels à la prière. C’est au tour des femmes d’entrer en scène pour gérer les négociations. La camionnette surchargée et le ventre bien plein, nous faisons un dernier arrêt chez un ami agriculteur pour charger 600 oeufs, une carcasse d’agneau et 20 litres de lait frais, puis nous repartons à la ferme conditionner les produits en paniers.
Le lendemain matin, Selçuk prend la route pour Istanbul, le camion minutieusement organisé pour livrer ses commandes. Mettons en stand bye les innovations du fils et entrons dans les traditions turques maintenant : ses parents prennent le relais à la ferme les trois prochains jours. Septuagénaires pleins de malice, ils nous transmettent les rituels de l’automne. Nous les aidons à cueillir des pistaches sauvages pour parfumer le café, à mélanger la sauce tomate pour les conserves et apprenons leurs petits plats dont nous vous offrons ici les recettes.